O! la lettre #118

La loi de Pareto  

    Démarrons par un petit rappel de vos cours de maths de première, avec une loi statistique que je vous conseille vivement de garder en tête, tant elle est éclairante en ces temps troublés. Je veux parler ici du principe de Pareto, du nom d’un obscur économiste italien du XIXe siècle qui, sur un simple constat empirique, énonça que 80 % des effets sont le produit de 20 % des causes. Dit autrement, un projet atteindra 80% de ses objectifs avec seulement 20% de l’investissement prévu, le reliquat nécessitant quand à lui un effort beaucoup plus conséquent. Si ce n’est toujours pas clair, prenons l’exemple de la confiture, ça parle toujours la confiture, pas seulement avec la loi de Murphy et ses tartines! Si par inadvertance vous renversez un pot entier de confiture sur le sol, vous n’aurez aucun mal à ramasser rapidement 80% de cette mélasse avec une simple louche, mais il sera beaucoup plus difficile et long (voire impossible) de récupérer l’intégralité du pot, les fameux 100%. Mais pourquoi diable parler ici de Pareto, de confiture, de petite cuillère et de statistiques? Vous ne voyez pas?…
    C’est simple, il suffit de remplacer la confiture renversée sur le sol par le COVID s’abattant sur Terre (curieux quand même, formulé comme ça). Alors la louche, c’est la série de mesures efficaces, simples et peu contraignantes comme le lavage systématique des mains, le maintient d’une certaine distance physique avec ses congénères lorsqu’elle ne pèse pas trop sur notre équilibre mental et relationnel, ou le fait de garder à l’esprit qu’éventuellement nous sommes porteurs de confiture (euh pardon, du virus) et qu’il est souhaitable d’éviter d’éternuer à la figure de notre voisin. Mais la surenchère actuelle de mesures sanitaires dérisoires sur le plan de l’efficacité (sens giratoire dans les couloirs des entreprises, port du masque généralisé, mise en quarantaine du courrier durant 24h, nettoyage permanent des poignées, rampes et objets divers) est assurément anxiogène et délétère pour nos « relations humaines ». 
    Nous voyons fleurir ces dernières semaines des dizaines de projets baroques de designers pour imaginer le « monde d’après », visiblement encore parano: visières de protection élégantes et siglées, accessoires astucieux pour actionner une poignée de porte sans la toucher, aménagements pour restaurant ou chacun est sous cloche, vêtements qui intègrent dès la conception le masque filtrant en non-tissé cuivre bactéricide, la capuche qui sert en même temps d’écran de protection, la manche qui cache des gants pour me permettre de choisir mes légumes en toute sérénité etc.. Ces projets font froid dans le dos, c’est comme une capitulation face à une peur irraisonnée, une acceptation d’un avenir qui n’a plus grand rapport avec la vie, ses bonheurs et ses risques. Cela a-t-il un sens que de vivre dans un monde ou votre boulanger se retrouve « enplastiqué » derriere son comptoir, étouffant sous son masque, et vous rend votre monnaie dans un curieux ballet pour éviter tout contact direct, toutes ces contraintes générant un climat de suspicion permanente. Le jeu n’en vaut pas la chandelle, j’ai effectivement 0,002% de malchance d’être contaminé par mon boulanger, mais cela me déprime à 100% de ne pas voir son visage, son sourire ou sa sale tronche. Souhaitons-nous vraiment vivre dans un monde de bulles individuelles aseptisées? Les vrais enjeux ne sont-ils pas ailleurs?

Quentin

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