Jusqu’ici, tout va bien…
Je sens confusément (et non confinément) qu’il serait de bon ton, voire attendu que matériO y aille de son petit édito sur cet épisode COVID, c’est ce que font généralement les boites sérieuses. On commence en souhaitant que tout le monde aille bien, on rappelle ensuite que notre première préoccupation, c’est la santé de nos collaborateurs et de nos clients. Ensuite, il est de coutume de dire combien la parenthèse fut curieuse mais aussi féconde, et surtout proclamer que l’après ne sera pas comme l’avant, que cette crise sanitaire peut devenir salutaire si nous savons saisir cette pause comme une introspection et une remise en question du fonctionnement actuel du monde… « Profitons-en pour inventer, innover, rebondir, avancer etc. » lance-t-on alors, plein d’entrain et de positive thinking! Oui, c’est sans doute ce qu’il faudrait faire…
Certes, moi aussi j’ai été heureux de ré-entendre les p’tits oiseaux qui faisaient « cuicui » le matin, moi aussi j’ai fait pousser quelques lentilles sur mon balcon confiné, prenant le temps jour après jour de m’émerveiller devant cette nature qui pousse et qui vit. Comme tout à chacun, débarrassé des scories de la vie moderne, libéré du paraitre, privé de shopping, je me suis fait un plan « ne passons pas à coté des choses simples… (référence Herta qui ne parlera qu’aux français plus de 40 ans) » en ayant l’impression de toucher à nouveau à l’essentiel de la vie. Profiter de nombreux rayons de soleil, écosser les petits pois, faire un pain maison, entamer une grande balade dans un champs (ça, c’est pour ceux d’entre nous qui avaient la chance de disposer d’un champs confiné à proximité)… Mais ce n’est pas tant l’essentiel que l’on touche alors, mais simplement l’élémentaire que l’on retrouve. L’essence de l’homme est ailleurs, elle est dans l’interaction, dans la liberté, dans le faire, dans l’échange… toutes choses qui justement aujourd’hui sont confinées ou confisquées, à raison, mais c’est ainsi. Nous nous trouvons actuellement face à une incongruité car il s’agit, pour préserver la vie, de la suspendre. Il ne faudrait donc pas que la chose s’éternise, car il serait absurde de vouloir préserver une vie qui n’a plus de sens, car vidée de sa substance…
L’instauration de ce qui a été baptisé de nécessaire « distanciation sociale » aurait dû aller de pair avec une « distanciation de la peur ». Car aujourd’hui, si nous prenons un peu de recul, notre société est manifestement entrée dans une sorte de psychose déraisonnable. Nous vivons dans une ambiance totalement parano ou tout est devenu danger, chacun étant supposé par principe potentiel malade, vecteur, menace ou victime. Tout est suspect, notre voisin, notre nourriture, la personne croisée dans la rue, qui a l’outrecuidance de ne pas porter de masque, la balle de tennis que mon adversaire a touchée alors qu’elle était gravée de mes initiales (véridique, nouvelles règles édictées où les joueurs doivent venir avec leurs propres balles marquées et être les seuls à pouvoir les toucher). Mais comment en serait-il autrement, avec des médias qui inlassablement, quotidiennement, ne parlent plus que de ça? Il ne se passe apparement plus rien d’autre dans le vaste monde, car le COVID rode, sournois, partout. Décompte matinal du nombre de décès de la veille, débat sur le nécessaire durcissement des mesures de confinement, récurrente annonce de pénurie de masques, « scandales » des tests, la nicotine pourrait vous sauver, les « mensonges et omissions » des autorités, émission spéciale « les dangers du déconfinement », annonce de l’inexorable deuxième vague, « mon fils n’ira pas au casse-pipe de la réouvertures des classes », un supermarché délesté en 1h de son stock de FFP2, les Etats-Unis passent en tête du nombre de morts etc.. Pas très étonnant qu’une psychose s’installe, lorsqu’aucune mise en perspective n’est proposée pour relativiser cette actualité prégnante, et nuancer (très important, la nuance) ou rationaliser le flot continu d’informations anxiogènes. Imaginez un peu notre état mental si quotidiennement les programmes radio étaient interrompus toutes les 7 minutes pour annoncer une autre vérité statistique (authentiquement effrayante celle-la), un viol supplémentaire commis en France…
Il devient donc urgent il me semble de remettre un peu les choses en perspective, et ce fameux COVID à la place qui lui revient. Par exemple de rappeler au père de famille que son enfant a plus de risque de se faire écraser par une voiture que de choper le COVID, avec les 58 pages de consignes sanitaires envoyées dernièrement aux écoles. Le plus grand risque, c’est qu’il refuse d’y retourner ensuite, tellement les contraintes imposées pourrissent l’ambiance…
Quelques chiffres simplement:
• Il y aura sans doute in fine moins de 30 000 morts en France du Covid en 2020, sur une population de 67 millions, soit 0,0004% de la population. Nous pouvons en conclure statistiquement que vous avez moins de chance de mourir du COVID cette année que de mourir d’un cancer du colon. Ou si vous préférez une comparaison plus réjouissante, vous avez plus de chance de gagner une somme supérieure à 15 000 euros en achetant un ticket EuroMillions que de finir à l’hôpital. Ça tombe bien, je ne joue jamais au loto…
• Toujours dans cet exercice macabre, si nous estimons que le COVID aura tué dans le Monde 400 000 personnes (ce n’est bien sûr qu’une prévision) durant l’année 2020, l’alcool se sera montré 7 fois plus efficace, le SIDA, en perte de vitesse, tuant néanmoins 5 fois plus, le moustique aura fait 2,5 fois « mieux », et même notre bonne vieille grippe aura obtenu le double de ravages. Enfin, rappelons que nous restons en dessous du demi-million de morts de la guerre en Syrie, conflit qui n’a aucune chance d’être résolu par un même volontarisme des États et une équivalente couverture des médias…
Si nous regardons à l’échelle du Monde justement, il s’est littéralement arrêté pour contrer cette pandémie. Toutes les économies occidentales se sont mises en pause, événement sans précédent, afin de limiter les dégâts humains de cette nouvelle maladie. Tout est stoppé, gelé, les personnes sont sommées de rester confinées, la notion de société explose dans une atomisation d’individus à qui on demande de cesser tous liens physiques. Ok, c’est logique et normal, nos sociétés mettent en place les seules recettes à leur disposition pour limiter la casse, la vie humaine doit primer sur tout, quelqu’en soit le prix. Mais je ne peux m’empêcher de noter alors que les gouvernements occidentaux sont capables de mettre à l’arrêt l’économie mondiale face à un danger immédiat et qui les touchent directement, et s’avèrent totalement incapables de faire preuve de la même détermination, de la même énergie, du même volontarisme pour un danger bien plus grand encore, bien plus profond, annoncé de longue date maintenant, mais qui a le malheur d’être dans une autre temporalité et de toucher prioritairement les moins responsables, et les moins puissants. Je ne suis pas un adepte de la Collapsologie, ni particulièrement tiers-mondiste, mais ne peux m’empêcher de noter une certaine indécence dans ce brusque gel instauré par les pays dit riches, comme une sorte « d’occidentalo-centrisme » alors que depuis des années nous sommes incapables du moindre geste politique un peu fort pour contrecarrer un effondrement de l’humanité qui se chiffrerait en plusieurs millards d’êtres humains qui vont mourir ou souffrir, sans même reparler du sort funeste des p’tits oiseaux qui font justement cuicui ce matin.
Contre toute attente, on ne peut s’empêcher de garder une faible mais tenace lueur d’optimiste. Demain ne pourra pas être comme hier, et pas simplement parce que nous allons au devant d’une crise économique majeure. Nous sommes obligés de constater que le chemin pris par notre civilisation est une impasse, et à brève échéance. Forcement…! Non? Le plus probable ne serait-il pas un simple retour à « l’anormal », un bon vieux « back to business, as usual »? Certains disent que « le temps est venu », mais le temps est déjà la depuis longtemps, il risque de repartir, comme il est reparti après le 11 septembre, après Fukushima, après la crise financière de 2008, après les cadavres de migrants sur les plages italiennes, après les attentats en France, après les incendies en Amazonie, après la constatation de la chute vertigineuse de la biodiversité, pourtant, nous y avons cru à chaque fois, nous ne pouvions continuer comme ça… bah si! Cette simple et assez désespérante constatation ne doit néanmoins pas signer notre résignation, mais nous ne devons pas l’oublier car sinon nous rejouons le film de l’homme qui tombe d’un gratte-ciel est qui répète à chaque étage « jusqu’ici, tout va bien ». Le monde vient de se prendre dans sa chute le parapet du 37éme, il est amoché mais pour l’instant, ça va encore…
Pour éclairer tout de même cette pandémie et ses conséquences proprement sidérantes d’une lumière plus positive, il peut être assez excitant de constater qu’un petit virus « banal et sans qualité » (Houellebecq) de 125 nano-mètre a été capable de mettre à genou, en deux mois, une machine mondiale dont le mode de fonctionnement semblait inéluctable, ce qui libère le champs des possibles, comme une page blanche, offrant l’opportunité de relancer la machine sur d’autres rails, voire même de changer de machine. Faisons tous en sorte que l’avenir démontre enfin que l’intelligence de l’homme sait aussi déjouer ses pires travers. Et n’oublions surtout pas que la vie est et reste une maladie mortelle, et que c’est heureux.
Quentin Hirsinger