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NOUS SOMMES SAUVÉS !
J’arpentais une fois encore la semaine dernière les différentes allées des sept halls de Techtextil Frankfurt, la große Messe bisannuelle dédiée à l’innovation textile, à la recherche des futures petites perles que vous pourrez prochainement trouver dans la base de données. L’exercice n’est jamais évident, il s’agit, une fois identifiée la substantifique moelle du salon, d’expliquer dans un sabir hésitant aux industriels rencontrés la nature particulière du service matériO. Invariablement, la première question de mes interlocuteurs est « Which sector are you in? », l’équivalent dans les salons professionnels de l’approche « Vous habitez chez vos parents? » Difficile question pour votre serviteur (pas les parents, le secteur), car je ne possède pas le vocabulaire suffisant en globish language pour lister tous les secteurs pour lesquels nous travaillons. Généralement, après moult explications, gestes et approximations, l’oeil de mon interlocuteur s’allume car il comprend que par entremise de matériO et sans bourse déliée il aura la possibilité de toucher directement le fleuron de la création mondiale, la quintessence des designers, oui vous chers lecteurs (enfin, plus exactement ceux d’entre vous qui sont adhérents, pour les autres vous saviez ce qu’il vous reste à faire pour intégrer le gotha de la création mondiale).
Las, à trois reprises, dans la zone réservée à des exposants français, je tombais sur un os de coq gaulois… Exposants suspicieux ressemblant plus à des vigiles de magasin Zara qu’à des personnes désireuses de commercer avec vous, pas d’échantillons en présentation ou alors sous une vitrine recouverte de stickers « no photo ». Après explications, les sociétés en question semblaient curieusement très réticentes à l’idée d’être intégrées à la base de données, elles ne souhaitaient pas m’en dire beaucoup sur les textiles présentés, ne voyaient pas vraiment l’intérêt d’être mis en relation gratuitement avec nos milliers de membres professionnels (j’ai même entendu un « nous avons déjà des clients dans l’automobile, ce n’est pas la peine »). À se demander pourquoi elles « exposaient » leur savoir-faire dans un salon international avec si peu l’envie de « faire savoir ». Je ne suis généralement pas adepte du French Bashing mais la posture était avant tout défensive, suspicieuse, manifestement l’idée de s’exposer était vécue comme un danger (contrefaçon, espionnage industriel, spoliation de technologie) avant d’être une opportunité. Cette attitude timorée, craintive, matinée d’un complexe de supériorité, dénote avant tout d’un manque de confiance patent dans les produits et expertises proposés. Navrante politique à contre-courant, aux relents de ligne Maginot ou de loi Hadopi, dans un monde où l’information circule plus vite et plus facilement que jamais. La frilosité paranoïaque n’empêchera en rien les éventuelles copies ou contre-façons, mais sera mortifère pour la structure. Une sorte de conquête à reculons, un combat illusoire et perdu d’avance, mais décidément sans la poésie d’un Don Quichotte ou le panache d’un Cyrano.
Face à ma mine navrée, mon interlocuteur me rassura:
- Mais nous allons lancer un site Internet cette année, vous aurez la liste des secteurs pour lesquels nous travaillons ainsi que nos coordonnées postales !
- Ah ! Et votre n° de fax ?
- Oui, je pense.
- Ouf, nous sommes sauvés…
Quentin Hirsinger