Allez voir CITIZENFOUR !
Dis, pourquoi j’ai systématiquement ces bandeaux de pub pour des poupées Hello Kitty lorsque j’utilise ton ordinateur? Le stagiaire qui vient de m’emprunter mon mac pour une recherche me regarde, dubitatif et limite inquiet… Est-il vraiment nécessaire que je lui explique que j’avais besoin ce matin de vérifier l’orthographe exacte de Kitty (combien de T, où se situe le Y?…) pour la rédaction d’une fiche sur un spray invisible rétro-réfléchissant (O1116), ou dois-je simplement le laisser s’interroger sur ma santé mentale et le type de recherches que je fais sur Internet?
Nous avons tous vécu cette expérience d’intrusion inopinée et souvent involontaire dans une sphère que nous croyons encore privée, du classique achat d’un cadeau surprise dévoilé accidentellement par l’historique des recherches, à la prise de conscience vertigineuse de toutes ces informations que n’importe quel quidam peut obtenir sur nous dès lors qu’il maitrise un peu l’informatique. Nous vivons désormais dans un monde numérique, tous nos actes laissent une trace électronique, nos achats, nos communications, nos déplacements, nos recherches sur Internet, nos centres d’intérêt. Nous générons progressivement un avatar de nous même, une ombre numérique enrichie constamment par nos actions les plus anodines pour ensuite alimenter des méta-données invisibles, sournoises mais parlantes. Sous couvert d’amélioration de « l’expérience client » (beurk) et avec la volonté de coller à nos envies ou besoins, voire de les devancer, une série de mouchards technologiques (cookies, étiquette rfid, adresse IP, GSM, puce de téléphone ou carte de crédit) égrainent et enregistrent notre vie numérique, définissant notre profil mieux qu’un sociologue et un psy réunis. Si cet enregistrement massif de données personnelles ne servait in fine que le monde marchand, nous pourrions nous en désoler mais aussi nous en accommoder en pensant présomptueusement garder un certain libre-arbitre, une relative autonomie.
Mais le documentaire CITIZENFOUR, qui retrace la sortie du bois d’Edward Snowden, nous révèle une réalité qui devient beaucoup plus pernicieuse et terrifiante que la simple intrusion des marchands dans nos vies privées. Prétextant une nécessaire protection des nations contre de nouvelles menaces terroristes, des organismes d’états ont systématisé les enregistrements des différents modes de communication et d’échanges dans le monde (téléphone, e-mails, sms, réseaux sociaux…), sans consultation préalable des citoyens concernés. Or, si en amont ce principe de surveillance générale s’avère inopérant pour empêcher des actes terroristes, il devient redoutable a posteriori pour assoir un pouvoir, économique, diplomatique, mais aussi politique. Quand un Etat est en mesure de savoir ce que chacun fait, dit, pense, son pouvoir est maximisé. Nous entrons alors dans un monde où chaque déviance, chaque écart par rapport au schéma de normalité est détecté puis analysé et éventuellement sorti du système. Le cauchemar d’un Patrick McGoohan plongé dans un monstrueux remake de Big Brother et Minority Report à la fois. Sans être des terroristes, les opposants au système comme les activistes d’Occupy Wall Street, les manifestants de Greenpeace, les hackers identifiés sont déjà surveillés, auscultés, pistés. Demain, si nous n’y prenons garde, ce sera l’AACLC (Association des Amoureux du Camembert au Lait Cru) qui sera la cible des grandes oreilles des Etats, tout sera foutu. La liberté n’existe plus dans une société de la transparence absolue où nous n’avons plus de vie privée, de part secrète. Il devient urgent de préserver le droit de taire, le droit de cacher, le droit de garder pour soi certaines choses, intimes, essentielles ou dérisoires.
Une petite note positive et rassurante néanmoins : malgré d’incessantes sollicitations, matériO refuse de collaborer avec la NSA, son ersatz français le PNCD ou toute autre société qui souhaiterait utiliser vos données de connexion. Pas de vente de fichier contact, pas de statistiques sur les fiches que vous consultez, pas de coockies, matériO est financé uniquement par ses membres utilisateurs, n’a donc de comptes à rendre qu’à ses membres. D’ailleurs nous serions bien en peine de monnayer quoi que ce soit, vous gardez l’entière confidentialité de vos recherches, matériO n’enregistrant que le strict nécessaire, le nombre de connexions de ses utilisateurs et la date de fin d’adhésion.
Bon, mais pour moi, c’est plié!… Après ma recherche « Hello Kitty », je me suis documenté sur certains explosifs pour une fiche sur un scotch renforcé anti-déflagration (C0453). Now, Big Brother is watching me. Si demain un terroriste au Japon commet un attentat à l’aide de poupées Hello Kitty truffées de TNT, mon compte est bon !
Quentin Hirsinger